Johan Djourou: « Tout le monde a envie d'en découdre »
Les Suisses ne sont pas assez fanatiques, regrette Johan Djourou
Photo: KEYSTONE/GIAN EHRENZELLERJohan Djourou occupe depuis un an un rôle prépondérant auprès de l'équipe de Suisse féminine.
'En Suisse, on n'est pas assez fanatiques', lâche l'ancien international genevois, qui s'est confié à Keystone-ATS à quelques jours du début de l'Euro 2025.
Le coordinateur sportif de la sélection helvétique connaît bien la pression qui entoure Pia Sundhage et ses joueuses, qui lanceront leur compétition mercredi à Bâle face à la Norvège (21h00). Il était de la partie en 2008 lors de l'Euro masculin organisé en Suisse et en Autriche, même s'il n'avait pas eu la chance d'entrer en jeu sur les pelouses helvétiques. Mais son expérience n'a pas de prix pour des joueuses qui s'apprêtent à vivre l'un des moments les plus forts de leur carrière. Interview.
-Johan Djourou, dans quel état d'esprit se trouve l'équipe de Suisse à quelques jours du début de l'Euro?
'Il y a beaucoup d'enthousiasme, d'énergie positive et de confiance. Tout le monde a envie d'en découdre. La préparation a été longue, surtout mentalement. Il y a eu plusieurs camps avec beaucoup d'intensité. On s'approche du jour J et les joueuses sont très excitées à l'idée que ça commence enfin.'
'La pression est énorme'
-Vous avez vécu un Euro à domicile en 2008 qui ne s'était pas très bien passé, avec une élimination en phase de groupes. Comment cette expérience vous aide-t-elle dans votre relation avec les joueuses?
'Il faut se rendre compte que la pression est énorme. Et cette pression, ce sont les joueuses qui se la mettent elles-mêmes. Elles ont envie de bien faire pour le peuple suisse et pour leurs familles. Je leur dis de se concentrer sur ce qu'elles peuvent contrôler et surtout de ne pas voir trop loin. Il faut regarder jour après jour, arriver avec la tête froide et ne pas flancher mentalement. Mais elles sont prêtes, ce sont des pros. Elles ont envie de réussir et de faire un grand tournoi.'
-Quel souvenir gardez-vous de cet Euro 2008?
'Un souvenir exceptionnel. Malheureusement, le résultat ne l'était pas, mais quand je repense à l'engouement, à l'énergie des fans, à ce feu dans le stade, j'espère que les filles auront l'occasion de revivre ça grâce aux supporters. Elles ne sont pas habituées à jouer dans des stades pleins. Et vivre ça à la maison, c'est une chose qui ne se présente pas deux fois dans une vie.'
-En quoi consiste votre rôle à l'ASF?
'Je m'occupe en premier lieu du programme +Impulse+, dont le but est d'améliorer rapidement les aspects les plus fébriles entourant l'équipe de Suisse. Par exemple au niveau médical et de la récupération, nous avons mis en place un conteneur pour que les joueuses puissent avoir accès à de la cryothérapie. J'aide aussi Alice Holzer au sein du projet +Legacy+ (héritage) de l'Euro (réd: qui vise à doubler le nombre de footballeuses, d'entraîneuses, d'arbitres et de dirigeantes licenciées en Suisse d'ici quatre ans). Et à côté de ce travail administratif, je suis beaucoup sur le terrain avec les joueuses. Je suis là lors des entraînements, j'essaie de les aider individuellement, que ce soit les défenseuses ou les attaquantes.'
'Une plateforme'
-Vous avez mentionné ce projet 'Legacy'. Quel est selon vous l'aspect le plus important à développer en Suisse pour que le football féminin progresse considérablement?
'Ca doit partir des entraîneurs. Il faut que les jeunes joueuses soient mieux encadrées, déjà au niveau amateur car c'est là que tout commence. C'est la même chose chez les garçons: beaucoup de rêves sont brisés car l'accompagnement n'est pas assez bon. Et évidemment, sans davantage d'infrastructures, on ne pourra pas progresser. Car l'afflux de jeunes joueuses que l'on espère va demander des nouveaux espaces.'
-De plus en plus de joueuses partent jouer à l'étranger assez tôt. On pense notamment à Sydney Schertenleib (18 ans) à Barcelone ou Iman Beney (18 ans) qui vient de signer à Manchester City. Est-ce positif pour le football féminin en Suisse ou cela empêche le championnat de se développer?
'Nos championnats doivent être une plateforme pour que les joueuses puissent partir à l'étranger car ils ne sont pas encore reconnus comme étant de très grande qualité. Si on veut que la Suisse puisse rivaliser dans quelques années avec la France ou l'Espagne, nos meilleures joueuses doivent aller s'aguerrir loin d'ici. A mes yeux, c'est plutôt quelque chose de positif.'
'C'est un tout'
-Arsenal, l'un de vos anciens clubs, a remporté cette saison la Ligue des champions féminine. L'année prochaine, les joueuses du club londonien joueront tous leurs matches dans le stade de l'équipe première, devant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs. Pourquoi le football féminin cartonne comme ça en Angleterre?
'C'est une culture un peu différente. En Angleterre, le club, c'est une religion et les gens suivent l'entité, que ce soit les hommes ou les femmes qui y jouent. En Suisse, on n'a pas cette culture sportive, ces mains sur le coeur. Chez nous, on n'est encore trop supporters, pas assez fanatiques comme en Angleterre.'
-Vous avez plusieurs casquettes: entraîneur de l'équipe féminine des M15 au FC Lancy, coordinateur sportif à l'ASF et consultant à la télévision. Laquelle vous procure le plus de satisfaction?
'C'est un tout! Mais voir la progression des filles, avec la Suisse ou à Lancy, c'est vraiment le Graal. C'est grisant de les voir comprendre ce que tu leur transmets, de les voir appliquer, parfois très rapidement, certaines choses. C'est ça que j'aime: voir ces joueuses s'exprimer et prendre du plaisir.'
/ATS